L'invasion du frelon asiatique pourrait s'arrêter d'elle-même
source : afp Tours
CYCLE. «On est tombé dessus par hasard !» Chercheur à l’Institut de recherche sur la biologie de l’insecte (IRBI, Université de Tours), Eric Darrouzet reconnaît qu’à l’origine de ses recherches ne figurait pas la détermination d’une possible consanguinité chez les frelons asiatiques (Vespa velutina ), cette espèce invasive originaire d'Asie qui détruit les colonies d'abeilles domestiques de l'hexagone depuis son arrivée en 2004. "Je recherchais plutôt la recherche de signatures chimiques chez ces insectes ainsi que la détermination de parasites possibles pouvant affecter ces hyménoptères". De 2012 à 2014, Eric Darrouzet a prélevé 31 nids de frelons principalement dans l’Indre et Loire. Ces colonies ont été apportées en laboratoire et congelées à -20°C pendant 48h pour pouvoir compter en toute tranquillité le nombre de mâles, femelles et ouvrières. "Et c’est ainsi que nous nous sommes aperçus que les colonies comportaient de nombreux mâles au printemps, ce qui est en contradiction complète avec le cycle de cette espèce où les mâles n'apparaissent qu'à la fin de l'été" poursuit l’entomologiste qui vient de publier dans Plos One un article retentissant laissant espérer l’éradication d’un insecte très envahissant.
Chez le frelon, seules les reines survivent l’hiver. Au printemps, elles constituent l’ébauche d’un nid et pondent quelques œufs qui produiront les premières ouvrières. Celles-ci vont agrandir ce nid de cellulose mâchée et l’installer dans les hautes branches d’un arbre. Au cours du printemps et en été, la reine pond jusqu’à 2000 ouvrières qui vont produire un essaim de 80 cm de diamètre. Ce n’est qu’à la fin de l’été que seront générés les individus mâles et femelles pouvant se reproduire. Après l’accouplement, les mâles meurent et les femelles attendent le printemps suivant. Deux fois plus productive en ouvrières et en reines que les abeilles et guêpes d’Europe, le frelon a connu un développement foudroyant depuis sa première apparition en France dans le Lot-et-Garonne (2004), vraisemblablement introduit dans des poteries provenant de Chine. Il est aujourd’hui présent sur 70% du territoire français, et en Espagne, Portugal, Belgique et Italie. Ses ravages sur la biodiversité sont mal connus, mais on le sait prédateur des abeilles domestiques.
Des mâles qui ne font rien à la maison
DIPLOIDES. La présence de mâles au printemps a donc surpris Eric Darrouzet. D'autant que leur nombre est important, représentant jusqu'à 68% de la population dans certaines colonies. Mieux, ces mâles sont diploïdes, c'est-à-dire dotés de deux paires de chromosomes, et non haploïdes comme ils devraient l'être (une seule série de chromosomes). Une aberration car la reproduction de ces insectes se fait à partir de femelles diploïdes et de mâles haploïdes, pour produire des ouvrières diploïdes. Cette anomalie signe ce que l'on appelleune "dépression de consanguinité". Autrement dit, les différences génétiques sont si faibles entre les individus que les reines font une confusion dans la ponte de leurs œufs et produisent ces mâles en lieu et place d’ouvrières. Un phénomène attribué au fait que seules quelques reines seraient arrivées dans les poteries en 2004, voire une seule, limitant la diversité génétique. Or cette dépression a deux effets. "Le premier est que les colonies se retrouvent avec un gros fardeau", explique Eric Darrouzet. "Car ces mâles ne travaillent pas, ne servent à rien et sont nourris par les ouvrières, ce qui impacte la productivité de la colonie et donc potentiellement la diffusion de l’espèce". Le second, c’est qu’en cas de reproduction de ces mâles diploïdes avec des femelles diploïdes, on obtient des reproducteurs triploïdes... stériles.
L’espèce n'a donc désormais le choix qu'entre deux scénarios pour survivre. Soit limiter son extension, comme cela s'est déjà produit avec la fourmi de feu (Solenopsis invicta) ou le bourbon terrestre (Bombus terrestris), soit s'adapter. "On ne peut pas exclure que les reines au moment de l’accouplement apprennent à distinguer un mâle haploïde d’un mâle diploïde grâce à la reconnaissance d’une signature chimique" suppute Eric Darrouzet qui annonce des études plus précises sur l’évolution des colonies et les mutations génétiques en cours. Mais on peut espérer aujourd'hui que l'expansion du frelon asiatique et ses ravages sur les abeilles soient contenus par la nature elle-même.